LES FILLES DU ROI

À l'époque de l'intendant Jean Talon, un recensement dénombre la population à trois mille deux cent quinze habitants. De ces chiffres, on réalise qu’avec 719 célibataires mâles, le manque de filles à marier est l’une des causes du problème de peuplement de la colonie. L'intendant élabore donc un vasteFilles du Roi "de bonne qualité" plan de colonisation. Il fait construire trois villages autour de Québec afin d’y recevoir de nouveaux colons.

Le Roi-Soleil, Louis XIV, à la recommandation de son ministre Colbert, offre aux militaires de demeurer au Canada et d’y fonder une famille. Il souhaite peupler la Nouvelle-France de foyers qui contribueront à asseoir la colonie sur des bases solides. L'autorité royale française organise elle-même le recrutement de jeunes filles de bonne qualité.

Filles du roiJean Talon les veut «fortes, intelligentes, belles et de bonne qualité.» Pour la plupart, ce sont des orphelines ou des filles d’officiers français tués à la guerre. Contrairement à ce qu’ont répandu plusieurs auteurs des temps modernes, les «Filles du Roi» ne sont pas des femmes de petite vertu. Recrutées par les curés de plusieurs paroisses de France, ces jeunes filles voient d’un bon oeil la possibilité d’un mariage assuré et acceptent l’aventure. L'expression «Filles du Roi» sous-entend que ces immigrantes sont les pupilles de Louis XIV et qu'à titre de protecteur, celui-ci supplée aux devoirs de leur père naturel en veillant sur elles et en les dotant. En Nouvelle-France, la question de la dot prend une importance particulière, puisque les autorités vont inciter, sinon forcer les hommes à les épouser.

Elles arrivent à Québec, à Trois-Rivières et à Montréal, où les religieuses et les habitants les accueillent à bras ouverts. De nombreux jeunes gens leur font une visite de courtoisie et les mariages ne se font pas attendre. En sept ans, la population passe de trois mille deux cent à six mille sept cent habitants.

Un texte de Jean-Raymond Douville et J.-D. Casanova extrait de La vie quotidienne en Nouvelle-France, en 1965, signale que: "Pour les jeunes filles de condition, destinées aux officiers méritants maisFilles du Roi sans fortune, le cadeau du roi varie de 100 à 500 livres (500₤). À cet octroi statutaire s'ajoutent d'autres frais essentiels. La dépense préliminaire est fixée à 100 livres. Dix sont allouées pour le choix ou la levée, trente pour les vêtements et soixante pour la traversée. Outre les vêtements proprement dits, sont fournis: une cassette (coffre), une coiffe un mouchoir de taffetas, un ruban à souliers, cent aiguilles, un peigne, un fil blanc, une paire de bas, une paire de gants, une paire de ciseaux, deux couteaux, un millier d'épingles, un bonnet, quatre lacets et 2 livres (2₤) en argent sonnant.

Pour sa part, le Conseil Souverain de la Nouvelle-France fournit, aux immigrées, quelques vêtements conformes au climat, et des provisions tirées des magasins du roi."  De là vient le nom de «Filles du Roi» Par la suite, l'intendant remet à chacune «la somme de cinquante livres, monnaie du Canada, en denrées propres à leur ménage.» Les filles destinées aux colons ordinaires recevaient une dot de 50 livres (50₤).

De 1663 à 1673, période où l'immigration de cette nature est la plus intense, près d'un millier de jeunes filles sont arrivées en Nouvelle-France. Elles ne sont pas toutes Parisiennes car les autorités de la colonie réclament surtout «des filles de santé robuste et habituées aux travaux de la ferme.» À cette période, en Nouvelle-France, la question de la dot prend une importance particulière, puisque les autorités vont inciter, sinon forcer les hommes à les épouser.  Les dots conventionnelles des filles du pays sont généralement constituées de meubles, d'articles de ménage, d'argent, de terres ou d'autres biens reçus en héritage. S'ajoute parfois à ces éléments qui sont identifiés au contrat de mariage, la perspective d'un héritage à venir. Généralement, quel que soit leur sexe, tous les enfants d'un couple ont droit à uSalpêtrièrene part égale de l'héritage familial. Même la plus pauvre des filles peut compter sur des biens qui, s'ils ne lui appartiennent pas au moment de l'engagement, viendront, un jour, enrichir le patrimoine de la famille qu'elle s'apprête à fonder. En 1668, Jean Talon parle de celles qui, parmi les Filles du roi, nourrissent des attentes quant à un héritage futur: «Entre les filles qu'on fait passer ici, il y en a qui ont de légitimes et considérables prétentions aux successions de leurs parents, même entre celles qui sont tirées de l'hôpital Général de Paris.»  

Plus de la moitié des 800 filles du roi sont pensionnaires à la Salpêtrière, dépendance de l'Hôpital général de Paris, avant leur immigration. Ce refuge abritait 1 460 personnes en 1661; on y recevait des filles de petits nobles pauvres ou gênés, lesquelles jouissaient d'un traitement particulier. La Salpêtrière accueillait aussi des filles pauvres sans famille et sans dot et par conséquent sans avenir. À toutes, on leur procurait un solide enseignement religieux. On leur apprenait à lire, à tricoter, à coudre, à faire la broderie et la dentelle

LA DOT DU ROI

Selon l'historien et démographe Yves Landry, les filles arrivées en 1663, auraient été dotées à raison de 30 livres (30₤) chacune. En 1664 et en 1665, elles auraient reçu l'équivalent de 50 livres. La coutume est établie, mais elle connaît des ratés. Les autorités coloniales ne disposant pas toujours de l'argent requis, la dot prend souvent la forme d'objets utiles au ménage ou n'est pas versée du tout. C'est ce qui se produit après l'arrivée du dernier contingent de Filles du roi, en 1673 : «On avait accoutumé, écrit le gouverneur Frontenac à Colbert le 13 novembre, de leur donner cinquante francs en les mariant et aux demoiselles cent; mais comme il n'y avait point de fonds, j'ai dit à ceux qui les ont épousées que s'il en venait, ils n'y perdraient rien  Des exceptions à la règle des 50 livres ont été relevées par M. Landry, qui a observé que «Seulement 250 des 606 contrats de mariages conclus par les Filles du roi, soit 41 pour cent, portent la mention d'une dot accordée par le roi. Rapporté à l'ensemble des Filles du roi, ce nombre indique que moins du tiers des immigrantes de la période 1663‑1673 ont assurément bénéficié des faveurs royales consenties aux nouvelles mariées. Parmi elles, cinq seulement auraient reçu 100 livres et deux, une dot de 200 livres.» 

MARGUERITE LAMAIN

 Le 31 juillet 1670 sur le navire "Nouvelle-France" appartenant à Pierre Gaigneur la fille du roi Marguerite Lamain est venue au Canada apportant une dot pour son futur époux.  Selon le dictionnaire Jetté, elle serait née vers 1656 (au recensement 1681, elle déclare être âgée de 24 ans).

Michel Rognon avait une alliée très précieuse dans le choix de son épouse puisqu’il avait fait part de ses intentions à Anne Gasnier, alors âgée de 59 ans, veuve de Jean Bourdon, le seigneur de Dombourg qui lui avait fourni sa concession. Mme Gasnier est désignée par le gouverneur pour se rendre en France afin d’y participer au choix des recrues qui présentent le meilleur potentiel d’adaptation au contexte particulier de la Nouvelle‑France.  Elle s’adressera aux institutions de charité, là où sont reçues et hébergées orphelines et filles pauvres. Sa maison de Québec aurait servi à l’hébergement des Filles du roi sur lesquelles Anne Gasnier veillait personnellement.  En 1669 elle avait conduit 150 « épouseuses » dont une dizaine de filles « de naissance, c’est-à-dire d’extraction noble ou honorable.»  En 1670, Anne Gasnier accompagne 164 filles à marier dont aucune de naissance distinguée, ce qui est corroboré par le fait que l'intendant Jean Talon demande pour l’année suivante 3 ou 4 filles de qualité afin de les lier par le mariage aux officiers.  Il en reçut quinze « ainsi qualifées » ce qui lui fait écrire à Versailles qu’il n’est plus nécessaire de faire passer d’autres personnes de cette qualité.  De 1663 à 1673, Anne Gasnier a signé 304 fois aux contrats de mariage dont 70 contrats en 1670.

Elle a donc guidé son protégé, Michel Rognon, dans le choix d’une bonne fille à marier.  Marguerite apporte des effets et des biens personnels d’une valeur de 300 livres, dont la moitié entre dans la communauté, ainsi que la dot de 50 livres promise par le roi. Le 14 septembre 1670, ils passent à l’église Notre-Dame de Québec où le curé Henri de Bernières bénit leur union devant la Sainte Église.

Ainsi donc, grâce à leur ténacité et à leur courage, hérités des ancêtres, les "filles du roi", avec leurs devancières, sont les mères du peuple canadien-français. Elles ont assuré la survivance et la conservation de son héritage moral et culturel. Les descendants de ces humbles femmes n'ont pas à rougir d'elles ni à les renier mais doivent plutôt en être fiers. 

Références :

http://www.mcq.org/histoire/filles_du_roi/

http://eastbird.tripod.com/FILLES/FILLES.HTM

Centre de recherches généalogiques du Québec

Sylvio Dumas. Les filles du roi en Nouvelle-France. Québec, 1972.

 

Site de l'Association des familles Laroche et Rochette inc.